Demeure en Moi

Accueillir le Christ dans l'autre

26 Mars 2020 , Rédigé par Evêque Marc Publié dans #Audio, #Homélies, #Enseignements

Homélie

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Un texte à méditer

La Résurrection de Rome 

Ecrit du 29 octobre 1949

Chiara Lubich

Cet écrit, rédigé au lendemain de la seconde guerre mondiale, à la fin de l'été 1949, alors que Rome tentait de se relever, met en évidence de façon lumineuse et prophétique, les énormes potentialités de renouvellement social que contient la présence de Jésus Ressuscité dans les chrétiens et entre les chrétiens. Celui-ci est le manifeste authentique d'une culture fondée sur la Résurrection.

 

Si je regarde Rome telle qu’elle est, mon Idéal me semble aussi lointain que l’époque où les grands saints et les martyrs rayonnaient d’une lumière éternelle et éclairaient jusqu’aux murs des monuments qui se dressent aujourd’hui encore, témoins de l’amour qui unissait les premiers chrétiens.

 

En un contraste criant, le monde domine Rome aujourd’hui par ses obscénités et ses vanités, dans les rues et, plus encore, loin des regards, dans les maisons, où règnent la colère, l’agitation et toutes sortes de turpitudes.

 

Et je dirais mon Idéal utopie si je ne pensais au Christ, qui a pourtant connu un monde semblable à celui-ci et, au point culminant de sa vie, a paru englouti lui-même, vaincu par le mal.

Lui aussi regardait toute cette foule qu’il aimait comme lui-même. Il l’avait créée et aurait voulu tisser des liens pour l’unir à soi, comme des enfants à leur Père, et unir chaque frère à son frère. Il était venu pour réunir la famille : de tous, faire un.

 

Ses paroles de Feu et de Vérité consumaient la broussaille des vanités qui étouffent l’Éternel qui se trouve en l’homme et passe parmi les hommes. Pourtant, même s’ils comprenaient, les hommes, tant d’hommes, ne voulaient rien entendre et demeuraient le regard éteint, car ils avaient l’âme obscure.

 

Pour quelle raison ? Parce qu’ils les avait créés libres.

 

Descendu du ciel sur la terre, il aurait pu les ressusciter d’un seul regard, mais il fallait qu’il leur laisse – ils avaient été créés à l’image de Dieu – la joie de conquérir le ciel librement. C’est l’éternité qui était en jeu et, pendant toute l’éternité, ils pourraient vivre en fils de Dieu, comme Dieu, créateurs de leur propre bonheur, par participation à sa toute-puissance.

 

Il voyait le monde tel que je le vois, mais il ne doutait pas.

 

Insatisfait, attristé par ce monde qui courait à sa perte, il contemplait, la nuit, le Ciel au-dessus de lui ainsi que le Ciel en lui, et il priait la Trinité qui est l’Être véritable, le Tout concret, tandis qu’au dehors cheminait le néant qui passe.

 

Moi aussi, j’agis comme lui pour ne pas m’éloigner de l’Éternel, de l’Incréé qui est racine du créé, et donc Vie de tout, pour croire à la victoire finale de la Lumière sur les ténèbres.

 

Je passe par les rues de Rome, mais je ne veux pas la regarder. Je regarde le monde qui est en moi et m’attache à ce qui possède valeur et être. Je ne fais qu’un avec la Trinité qui habite mon âme, l’illumine d’une lumière éternelle et la remplit du ciel entier avec les saints et les anges, eux qui ne sont soumis ni au temps ni à l’espace et peuvent ainsi, en ma petitesse, se recueillir avec les Trois personnes en une unité d’amour.

 

Le Feu me gagne. Il envahit cette humanité que Dieu m’a donnée. Il fait de moi un autre Christ, homme-Dieu par participation, de sorte que mon humanité se fond avec le divin et mon regard n’est plus éteint. A travers mes pupilles, porte ouverte de l’âme, transparence par laquelle passe toute la lumière qui est en moi – si je laisse Dieu vivre en moi –, je regarde le monde et les choses.

 

Mais ce n’est plus moi qui regarde, c’est le Christ qui, en moi, regarde et voit encore des aveugles à qui rendre la vue, des muets à faire parler, des estropiés à faire marcher. Aveugles à la présence de Dieu en eux et autour d’eux ; muets à la parole de Dieu, qui pourtant parle en eux et qu’ils pourraient transmettre à leurs frères pour les éveiller à la Vérité ; estropiés paralysés, ignorant la volonté divine qui, du fond du cœur, les incite au mouvement éternel qu’est l’Amour éternel, dont brûlent ceux qui transmettent le Feu.

 

Et, quand je rouvre les yeux, je vois l’humanité avec les yeux de Dieu, qui croit tout parce qu’il est Amour.

 

Je vois et je découvre chez les autres ma Lumière même, la Réalité véritable de mon être, mon vrai « moi » – parfois enfoui ou, de honte, secrètement déguisé. Retrouvant alors mon être même, je me réunis à moi en ressuscitant moi-même – Amour qui est Vie – en mon frère.

 

Ainsi je ressuscite Jésus en lui, autre Christ, autre homme-Dieu, manifestation de la bonté du Père ici-bas, regard de Dieu sur l’humanité. Ainsi, je prolonge le Christ en moi dans mon frère et je compose une cellule vivante et complète du Corps mystique du Christ, cellule vivante, focolare de Dieu, qui possède un Feu qui peut se répandre et avec le feu, la Lumière.

 

C’est Dieu qui fait de deux l’un, et se place comme troisième parmi eux, comme relation entre eux : Jésus au milieu de nous.

Ainsi l’amour circule et, par la communion qui lui est intrinsèque, il entraîne spontanément, comme un fleuve de feu, ce que chacun des deux possède, biens de l’esprit et biens matériels, pour les rendre communs.

 

Cela rend témoignage de façon concrète et effective qu’il existe un amour qui est vrai et qui unit, celui de la Trinité.

 

Le Christ tout entier revit alors vraiment en tous les deux, en chacun et parmi nous. Lui, l’homme-Dieu, s’exprimant sous les aspects humains les plus variés, pétris de divin et mis au service du but suprême, qui est Dieu, soucieux de son royaume, qui distribue, comme un souverain, tous les biens à chacun de ses enfants, comme un Père qui n’exerce pas de préférences.

* * *

Je crois que, si je laissais Dieu vivre en moi, si je le laissais s’aimer dans mes frères, il se révèlerait lui-même en beaucoup et bien des yeux s’éclaireraient de sa lumière, signe tangible qu’il règne en eux.

 

Et le Feu, qui détruit tout au service de l’Amour éternel, se propagerait dans Rome en un éclair, ressusciterait les chrétiens et ferait de notre époque, si froide parce qu’athée, l’époque du Feu, l’époque de Dieu.

 

Mais il faut avoir le courage de ne pas s’attacher à d’autres moyens ou, tout au moins, de les considérer comme secondaires, pour susciter un peu de christianisme et faire écho aux gloires du passé.

 

Il faut faire renaître Dieu en nous, le  maintenir vivant, et le déverser, comme des flots de vie, sur les autres et ressusciter les morts.

 

Et le maintenir vivant parmi nous en nous aimant les uns les autres. Et, pour nous aimer, nul besoin de faire du bruit : l’amour veut dire mort à nous-mêmes – or la mort est silence – et vie en Dieu – or Dieu est le silence qui parle.

 

Alors tout est révolutionné : la politique et l’art, l’école et la religion, la vie privée et les loisirs. Tout.

 

Dieu n’est pas en nous comme ces Crucifix accrochés aux murs des salles de classe, presque en guise d’amulette. Si nous le faisons vivre, il est vivant en nous, législateur de toute loi humaine et divine, car chacune est de sa facture. Du plus intime de notre être, en Maître éternel, il nous dicte tout, nous enseigne tout, l’éternel et le contingent ; il donne valeur à tout.

 

Mais, pour comprendre cela, il faut le laisser vivre en nous en vivant dans les autres, car la vie est amour et, si la vie ne circule pas, elle meurt.

 

Il faut ressusciter Jésus dans la Ville éternelle, le faire entrer partout. Il est la Vie, la Vie complète. Et non pas simplement un fait religieux [1]… Quand on Le sépare ainsi de la vie entière de l’homme, on tombe dans une hérésie pratique de notre époque, on asservit l’homme à ce qui est bien moins que lui, on relègue Dieu, notre Père, loin de ses enfants [2].

Non, le Christ est l’Homme, l’homme parfait. Il assume et résume en lui-même tous les hommes ainsi que chaque vérité et tout ce qui les pousse à s’élever à la place qui est la leur.

Celui qui a trouvé cet Homme a trouvé la solution de tous les problèmes humains et divins. Il suffit pour cela de L’aimer.

 

(Chiara Lubich in Pensée et spiritualité, Nouvelle Cité Paris, 2003, p. 236-239)

 

 

[1]           On s’imagine quelquefois que l’Évangile ne résout pas tous les problèmes humains et qu’il ne porte le Royaume de Dieu que dans un sens religieux. Mais il n’en est pas ainsi. Ce n’est certes pas le Christ historique, ni le Christ en tant que chef du Corps mystique, qui résout tous les problèmes. C’est “Jésus-nous” qui le fait, “Jésus-moi”, “Jésus-toi”… Jésus dans l’homme, celui-là même qui construit un pont ou trace une route, lorsque sa grâce est présente en lui. Jésus est la véritable personnalité de chacun, la plus profonde. En effet, tout homme, c’est-à-dire tout chrétien, est davantage fils de Dieu, c’est-à-dire un autre Christ, que fils de son propre père. C’est en tant qu’autre Christ, en tant que membre de son Corps mystique, que chaque homme apporte sa contribution spécifique dans tous les domaines : sciences, art, politique… C’est l’Incarnation qui se poursuit, incarnation complète qui concerne tous les Jésus du Corps mystique du Christ.

[2]           L’homme n’a pas à être mortifié, mais élevé, dans toutes ses dimensions et capacités humaines. En plus d’une théologie renouvelée – « nouvelle » parce que fondée sur la vie trinitaire vécue dans le Corps mystique du Christ –, il faut une science nouvelle, une sociologie nouvelle, un art nouveau, une politique nouvelle… : toutes choses nouvelles, parce qu’elles seront du Christ et renouvelées par son Esprit. Il faut ouvrir le chemin d’un nouvel humanisme, où l’homme sera vraiment au centre, l’homme qui est avant tout le Christ, le Christ dans les hommes.

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